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Liberté – Egalité – Mammographie

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fronton 01Big 01Ce billet est une adaptation du 8eme chapitre de mon ouvrage Octobre Rose mot à maux – Pour une réelle liberté de choix.

Nous l’ignorions, mais le dépistage a le pouvoir de réduire les inégalités sociales. C’est une bonne nouvelle car il suffirait alors de dépister tout le monde pour que les inégalités sociales disparaissent. Nous n’aurions pas cru la chose aussi simple  C’est pourtant ce que nous annonce, emportée par son élan et en titre s’il vous plaît, le quotidien régional La Dépêche du 16 novembre 2012 : « Le dépistage réduit les inégalités sociales. »

En haut lieu, une fois n’est pas coutume, la modération est de mise, il y contribue seulement. Le dossier de presse Octobre rose 2013 de l’Institut National du Cancer (INCa) nous explique : « Le dépistage organisé du cancer du sein constitue, en soi, un dispositif contribuant à la lutte contre les inégalités sociales. » L’INCa étant a priori une institution sérieuse, comment peut-elle avancer une telle affirmation sans l’étayer, sans expliquer un tant soit peu comment la chose est-elle possible ? La Ligue contre le cancer, pourtant si enthousiaste à l’idée de porter la bonne parole et l’égalité jusqu’au dernier des hameaux, ne nous éclaire pas davantage sur le lien entre dépistage et réduction des inégalités sociales : « Lutter contre le cancer du sein est un combat historique pour la Ligue. Avec ses 103 Comités départementaux, elle fut à l’origine du dépistage organisé du cancer du sein et participa à l’amélioration des techniques et du déploiement de ce dispositif très efficace pour lequel la participation des femmes ne doit pas faiblir. C’est une lutte de tous les instants. De chaque minute, car le temps perdu est le meilleur allié du cancer! Comme les inégalités sociales le sont aussi, et c’est pourquoi nul territoire, nul quartier, nul escalier, nul hameau ne doit échapper à la promotion du dépistage. »

Le « lien social » autour du dépistage

Nous ne voyons toujours pas en quoi le dépistage pourrait mettre tout le monde sur le même pied d’égalité à part dans le sens où, que l’on soit riche ou pauvre, on peut se laisser prendre de la même manière aux slogans d’Octobre rose, des revenus élevés n’ayant jamais immunisé qui que ce soit contre les manipulations. Ne soyons toutefois pas mauvaise langue, nos questionnements ont été entendus et certains vont nous donner des pistes sur la nature de ce lien entre dépistage et inégalités sociales. Nous pourrions citer Chantal de Seze, médecin directeur de l’ADECSO, la structure de gestion du dépistage des cancers de l’Oise lors de son intervention au colloque 2013 des comités féminins pour la prévention et le dépistage des cancers : « Mes équipes sont actuellement toutes mobilisées sur le terrain dans le cadre d’Octobre rose. Aujourd’hui, un repas rose est organisé avec 120 personnes précaires.  Le lien social qui se créé autour de la prévention du cancer du sein est extraordinaire. Prévention et dépistage ne font qu’un.» Le « lien social » ainsi créé étant « extraordinaire », on espère que les « personnes précaires », une fois le ventre bien rempli, seront dans de meilleures dispositions pour se laisser convaincre de se faire dépister. 

Le dépistage du cancer du sein s’est « démocratisé »

Toutefois, il existe peut-être un autre lien entre dépistage et réduction des inégalités sociales. Lors de la sortie de No Mammo ?Enquête sur le dépistage du cancer du sein[1],  une journaliste de la presse écrite m’avait posé la question : « Alors que le dépistage du sein vient à peine de se démocratiser auprès des femmes, ne risque-t-on pas d’envoyer un message brouillon en leur parlant de surdiagnostic? Ce message n’est-il pas plus dangereux que le surdiagnostic lui-même? » Ainsi, la mammographie s’est « démocratisée », un peu comme un produit de luxe à présent à la portée de toutes. C’est du moins l’impression que l’on souhaiterait donner et il serait alors stupide de ne pas en profiter. Cependant, dans le contexte du dépistage du cancer du sein, « démocratiser » pourrait bien avoir une autre signification, que nous rappellent Geneviève Barbier et Armand Farrachi dans La société cancérigène : lutte-t-on vraiment contre le cancer ?[2]: « Pour ce qui ne concerne pas les marchandises (comme l’Éducation nationale ou la santé publique), démocratiser, c’est tout simplement massifier. »

Et on ne peut « massifier » sans gratuité. C’est pourquoi la mise en avant de cet « avantage » de la mammographie dans le cadre du dépistage orgaisé laisse perplexe. Il est évident qu’à partir du moment où un dépistage va faire l’objet d’un programme national et, en l’occurrence, être systématisé, il sera gratuit. On ne voit pas comment l’INCa pourrait tenter d’augmenter la participation des femmes au dépistage, déjà pas franchement mirobolante, s’il restait quelque chose à leur charge comme dans le cadre du dépistage individuel. Par contre, les examens complémentaires sont payants et ils sont relativement fréquents. La « mesure égalitaire » s’est vite essoufflée.

L’argument massue

Pourquoi alors présenter ainsi cette gratuité inhérente à tout programme national comme un argument en faveur du dépistage ? Et pourquoi aller jusqu’à présenter cette gratuité comme contribuant à la réduction des inégalités sociales ? Plusieurs raisons peuvent être évoquées quant à l’utilisation de cet argument de la gratuité :

- Il semble être là pour faire du volume : la liste des avantages de la mammographie n’étant pas très fournie, on remplit avec ce que l’on peut. Pourquoi ne pas, même si elle est inhérente à tout programme national, mettre alors en avant la gratuité ?

- Il sert plus spécifiquement à botter en touche et ressort à chaque fois, même hors sujet. Un exemple type : l’article « Le dépistage du cancer du sein : vraiment utile ! » du bulletin d’information de l’Ordre des médecins de janvier/février 2012. On y demande à Agnès Buzyn,  présidente de l’INCa : « Le dépistage organisé du cancer du sein a-t-il un impact sur la mortalité ? » Après avoir répondu sans répondre à la question posée, elle ne peut s’empêcher d’ajouter : « Mais le dépistage organisé présente d’autres avantages : cette mesure égalitaire bénéficie gratuitement à l’ensemble des femmes de 50 à 74 ans. »

- « mesure égalitaire », « réduction des inégalités sociales », sont des expressions « sésame ». Elles sonnent bien, elles mettent le récepteur ou la réceptrice dans de bonnes dispositions. Leur charge positive est si élevée que le récepteur ne va, la plupart du temps, pas prendre le temps de vérifier si elles sont justifiées dans un tel contexte.

- De telles expressions donnent à peu de frais l’impression que l’État s’occupe vraiment des inégalités sociales. Même si le rattachement du dépistage à ces dernières est relativement tiré par les cheveux, le fait d’associer les deux dans la même phrase est une manœuvre qui fonctionne toujours.

- La gratuité d’une procédure médicale est toujours populaire, mais ne cacherait-elle pas d’autres buts ? La gratuité en appât pour attirer de nouveaux consommateurs est une manœuvre commerciale utilisée depuis fort longtemps. Dans le cas du cancer du sein, la gratuité du premier maillon d’un long parcours de traitement peut remplir la même fonction. Gilbert Welch le confirme dans son ouvrage sur le surdiagnostic :

« La création de nouveaux patients et la confection de nouveaux diagnostics profitent à l’ensemble du complexe médico-industriel, comprenant l’industrie pharmaceutique mais aussi les manufacturiers de dispositifs, les fabricants d’appareils diagnostiques, les laboratoires médicaux, les centres de chirurgie, les hôpitaux et même les CHU. Prenons l’exemple du dépistage. Le dépistage peut s’avérer un bon investissement  pour un hôpital, dans le sens où le dépistage peut être offert en vente à un prix inférieur à son coût de production dans l’espoir que cette vente à perte stimulera la consommation future de services profitables. Les marchés d’alimentation font cela constamment. L’idée est simple : en offrant un dépistage à un prix très réduit ou, mieux, gratuitement, les hôpitaux se constituent des bassins de nouvelle clientèle dont ils tireront profit lors des épisodes successifs de soins[3]»

Même si les traitements ou surtraitements qui vont suivre sont pris en charge à 100 % par l’assurance maladie, ils vont en effet être une source de revenus significative pour les laboratoires pharmaceutiques et les centres de traitement du cancer. Si nous nous plaçons à présent du point de vue  de la candidate au dépistage, mettre ainsi en avant la gratuité de la procédure de départ frise la tromperie. S’il s’avère qu’un cancer est détecté, y compris s’il rentre dans le cadre du surdiagnostic, en dépit de la prise en charge des traitements, cela va, de toute façon, coûter cher à la cancéreuse. Il suffit d’aller faire un tour sur les blogs des survivantes pour constater les limites de la prise en charge, sans parler de toutes celles qui ont dû arrêter de travailler parce qu’elles ne pouvaient plus.

Les inégalités sociales, parlons-en…

« Prendre à bras le corps le problème des inégalités sociales, là réside notre plus puissant levier d’action si nous souhaitons vraiment améliorer la santé des populations, et non pas, comme nous le faisons actuellement, prendre des bien-portants, les dépister, et leur poser des diagnostics dont ils n’ont pas besoin et dont ils ne retireront aucun bénéfice[4] » : c’est le constat posé par l’auteur médecin britannique Margaret McCartney. De ce côté-ci de la Manche, Luc Perino confirme : « La plus grosse réserve d’années/qualité de vie se trouve dans la réduction des inégalités sociales[5]. » Cela pourrait passer pour des opinions. Ça ne l’est pas. Ces constats se basent sur des études de population. Trois chercheurs en particulier se sont beaucoup penchés sur les liens entre déterminants sociaux et santé. Tous trois sont britanniques. Il s’agit de Michael Marmot, de Richard Wilkinson, et de Kate Pickett, ces deux derniers travaillant en équipe.

Déterminants sociaux et espérance de vie

L’épidémiologiste Michael Marmot a dirigé en 2008 une étude commissionnée par l’OMS sur les liens entre déterminants sociaux et espérance de vie. Il constate : « Notre modèle économique, d’une certaine manière, disait : « Les inégalités, c’est pas grave ! » Le résultat c’est par exemple qu’à Glasgow, en Écosse, la différence entre l’espérance de vie des plus riches et des plus pauvres était de 28 ans. Pour les hommes, l’espérance de vie dans les quartiers les plus pauvres est de 54 ans, et de 82 ans dans les quartiers les plus riches[6]. » Il termine en remarquant que 54 ans d’espérance de vie pour les plus pauvres, c’est huit ans de moins que l’espérance de vie moyenne en Inde, qui est de 62 ans. Le communiqué de presse de l’OMS annonce « Les inégalités tuent à grande échelle » et développe : « Ces chiffres n’ont aucune explication biologique. Les différences entre les pays et à l’intérieur même des frontières d’un pays, sont dues à l’environnement social dans lequel les gens naissent, vivent, grandissent, travaillent et vieillissent. » Richard Wilkinson et Kate Pickett parviennent exactement aux mêmes conclusions dans leur ouvrage Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous[7]. Ainsi, il semblerait que ce ne soit pas tant la pauvreté qui tue, que les inégalités.

Nortin Hadler, dans Le dernier des bien-portants[8], s’est lui aussi beaucoup penché sur le lien entre statut socio économique (SSE) et longévité. Il met en garde : « Il ne faut pas succomber à l’illusion que le SSE est une simple mesure de la classe de revenus. La longévité dépend davantage de la pauvreté relative qui est la sienne par rapport à ceux qui sont riches dans son écosystème. Plus est grand l’écart entre riches et pauvres (indice Robin des bois) dans les divers états des États-Unis, plus la perte de longévité des pauvres est grande. Cette association entre la disparité des revenus et la longévité est d’ailleurs  perceptible partout dans les pays développés. » Le SSE ne se réduit pas  à la mesure des revenus, explique-t-il, mais « décrit le type de quartier qu’on habite et le contexte dans lequel on gagne sa vie ». Il semble que jusqu’ici, on ait grandement sous-estimé l’impact des lieux et conditions de vie et de travail sur la santé. Hadler consacre un chapitre entier aux « risques pour la santé d’un emploi haïssable » et conclut qu’au total « dans un pays industrialisé et avancé près de 75% des menaces à la longévité sont liées au statut socio-économique (SSE) et à la satisfaction au travail ».

Ainsi, plutôt que de garantir la gratuité d’un dépistage à l’efficacité fort débattue, si les pouvoirs publics souhaitent sincèrement réduire la mortalité, n’auraient-ils pas meilleur compte de reporter leurs efforts sur l’amélioration des conditions de vie et de travail ? Et, plutôt que de s’acharner à rendre la mammographie accessible à toutes, ne serait-il pas préférable de rendre l’information – objective j’entends – accessible à toutes ? Ce serait là, véritablement, une mesure égalitaire. « Savoir analyser les messages reçus ou bien rester prisonnier de leurs effets constitue peut-être une des sources principales d’inégalité sociale aujourd’hui », nous confirme Philippe Breton dans La parole manipulée[9].

De façon regrettable, réduire cette inégalité-là ne semble pas à l’ordre du jour.

Et pour conclure, rappelons les propos de Samuel Broder, ancien président du National Cancer Institute des États-Unis : « La pauvreté est un cancérigène. » Et si nous commencions par là ?

 


[1] Ed. Max Milo, 2011.

[2] Ed. La Martinière, 2004.

[3] Le Surdiagnostic : rendre les gens malades par la poursuite de la santé, Gilbert Welch, Lisa Schwartz, Steven Woloshin, Presses de l’université Laval, 2013.

[4] The Patient Paradox: Why Sexed-Up Medicine is Bad for Your Health, Pinter & Martin Ltd., 2012.

[5] Les nouveaux paradoxes de la médecine – La santé, entre science, raison, profit et précaution, Ed. Le pommier, 2012.

[6] Interview du Pr Marmot dans le documentaire « Les nouveaux chiens de garde »

[7] Ed. Les petits matins, 2013.

[8] Le dernier des bien-portants : comment mettre son bien-être à l’abri des services de santé, Ed. Presses de l’Université Laval, 2009.

[9] Ed. La Découverte, 2004.

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